Sur scène, le petit garçon se tient debout, les mains croisées, dans le dos. Jamais il ne se tournera vers le public, sauf à la fin, pour le saluer, radieux. Les autres membres de la troupe - sept adultes - ont la mine plutôt grave. Ce qui vient de se jouer n’est pas qu’une pièce de théâtre mais un acte de résistance pour montrer une autre Palestine.
Abdelfattah Abusrour, fondateur du centre culturel Al-Rowwad, situé dans le camp de réfugiés palestiniens Aïda, proche de Bethléem, est arrivé sur le sol français avec sa troupe, mardi 14 juin. La tournée a commencé le 16 au soir, à Juvisy-sur-Orge (Essonne). Jusqu’au 12 juillet, les comédiens enchaînent une quinzaine de dates en France et au Luxembourg, avec deux haltes parisiennes : le 29 juin, dans la salle Jean-Dame (2e arrondissement), le 12 juillet, au Studio de l’Ermitage (20earrondissement). Les prochaines étapes sont, le 19 juin, à Cruas (Ardèche), le 20 à Nîmes (Gard), le 22 à Lodève (Hérault), etc.
Depuis le camp Aïda jusqu’à la Jordanie, où ils ont pris l’avion, les comédiens ont fait un long périple, raconte M. Abusrour. Ils ont fait un détour par "la Vallée de feu et sa route qui serpente", afin de contourner Jérusalem, qui leur fut interdite d’accès.
Ils ont patienté des heures aux check-points. Passera ou pas ? "Les Israéliens nous ont mis dans l’incertitude. L’incertitude qui tue", raconte le metteur en scène, à l’issue de la représentation du 16, à Juvisy. Quelque 110 places ont été vendues. Beaucoup de militants sont là, dont Jean-Claude Ponsin, de l’association parisienne Les amis d’Al-Rowwad, qui vend, dans sa boutique de la rue Custine, près de la Goutte-d’Or, de l’artisanat palestinien, des livres et des films sur la situation politique, etc.
Ecrite et mise en scène par Abdelfattah Abusrour, la pièce Handala est inspirée du travail du dessinateur et caricaturiste palestinien Naji Al-Ali, assassiné à Londres en 1987 à l’âge de 51 ans. L’artiste avait créé un petit bonhomme qui symbolisait la résistance à l’occupant israélien. Cheveux hérissés, il tourne le dos : il ne montrera son visage que le jour où le peuple palestinien aura un Etat.
Sur scène, le personnage est incarné par le fils aîné du metteur en scène, Canaan Abusrour. Les autres acteurs ne sont pas des professionnels : certains sont étudiants, d’autres ont un emploi salarié. La seule femme de la troupe, Hala Yamani, enseigne la dramaturgie à la faculté de Bethléem.
La vie du centre culturel Al-Rowwad - qui signifie "les pionniers" - relève presque du miracle. Abdelfattah Abusrour, 47 ans, né dans le camp Aïda, l’a fondé en 1998. Il a vécu en France de 1985 à 1994, durant ses études de biologie. C’est là, dit-il, qu’il a découvert le théâtre. De retour dans le camp, le déclic s’est produit : les arts de la scène sont devenus, à ses yeux, le symbole d’une "belle résistance".
En 2005, il arrête de donner des cours de biologie à l’université de Bethléem pour se consacrer au centre culturel. "Je touche un salaire, ou pas. Mais, avec, ou sans argent, on travaille", sourit-il. A l’écouter, Al-Rowwad est devenu une ruche que rien ne semble pouvoir arrêter. Avec la deuxième Intifada, en 2000, le centre culturel a pu se transformer en "clinique d’urgence ou en école", mais les activités artistiques ont toujours repris le dessus. M. Abusrour les énumère : en plus du théâtre, l’équipe a développé des ateliers de photo et de vidéo, un festival de cinéma en plein air, avec projections "sur le mur de séparation érigé par Israël". Les "pionniers" sont aussi à l’origine du "premier programme de sport pour les femmes", et d’une"ludothèque mobile" à l’attention des enfants.
Le camp Aïda, précise-t-il, compte 5 000 habitants, dont les deux tiers ont moins de 18 ans. Le chômage touche 77 % des adultes. "Les médias nous désignent comme des terroristes. Avec Al-Rowwad, nous voulons montrer que nous sommes des êtres humains."
Clarisse Fabre
Article paru dans l’édition du 19.06.11
http://www.lemonde.fr/culture/article/2011/06/18/une-troupe-palestinienne-tourne-en-france_1537773_3246.html