Devant des témoins tapis dans l’ombre, mais cependant bien présents, des enfants « jouent » leur vie d’enfant, ils « jouent » à jouer leurs jeux d’enfant. Tendrement et universellement. Rien ne permet de les distinguer de « nos » enfants.
Ailleurs, probablement pas très loin, mais hors champ, des adultes dont leurs parents, « jouent » communément leur vie d’adulte, faîte de labeur et d’ordinaire, ponctuée comme toute vie de joies et de peines.
Et puis soudain, l’éclair et le tonnerre envahissent l’espace. Les jeux d’enfants disparaissent dans un bruit strident, derrière un rideau de fumée épaisse et suffocante, laissant la place à une agitation désordonnée figurant la menace et la panique qui y est associée. La guerre vient de faire son entrée.
Le ton est donné : les jeux d’enfants sont déjà loin, nous sommes en 1948, en Palestine.
Ainsi débute la pièce « Nous sommes les enfants du camp » donnée en France en juin et juillet et interprétée par 16 enfants et adolescents du camp de réfugiés d’Aïda, près de Bethléem, appartenant à la troupe palestinienne « Al-Rowwad » (les pionniers en français). Cette pièce est née d’un travail d’improvisation autour de la vie actuelle des enfants du camp, travail qui a conduit en toute logique à aborder le thème de la mémoire et celui de l’histoire. Le travail d’écriture et la mise en scène ont été assurés par AdbelFattah Abu-Srour , également Directeur bénévole du centre culturel Al-Rowwad,.
Au travers de cette création, durant 1h15, dans un espace vide où tout est suggéré par les gestes, les déplacements, les lumières et quelques accessoires, les jeunes acteurs offrent donc de partager leur mémoire douloureuse et chargée de l’histoire de leurs parents et grands-parents. Ceux-ci se sont réfugiés, un jour de 1948, dans le camp d’Aïda, pensant que ce déplacement ne serait qu’une parenthèse dans leur vie mais là où pourtant, leurs enfants puis leurs petits-enfants allaient naître.
Ce périple, ces jeunes garçons et filles le font partager avec émotion, mais aussi, parfois avec humour, dans tous les cas avec talent, grâce et générosité.
Indiscutablement, leur engagement humain et artistique est à la dimension de l’enjeu de leur spectacle : une voix claire, nette et puissante par laquelle les mots prononcés en arabe sont projetés, sans faillir, aux spectateurs ; un ensemble de voix, constituant un ch ?ur harmonieux, pour dire ou chanter l’histoire, les sentiments, les déceptions, la solitude et l’espoir ; des corps parfois si petits, si frêles mais si présents, modelés à l’image de l’humiliation, de la souffrance mais aussi supports d’expressivité de la fierté des origines. Cette fierté, on peut l’appréhender, notamment lorsque les enfants dansent le dabké, cette danse qui consiste, suivant des pas bien précis et complexes, à taper du pied la terre, comme pour bien signifier l’enracinement et le lien d’amour qui les unit à elle . Et ils dansent merveilleusement bien, sans hésitation et avec engagement, les enfants de la troupe Al-Rowwad.
Ils sont arrivés en France le 2 juin, prêts à y passer 7 semaines pour effectuer leur tournée théâtrale et curieux de rencontrer des jeunes gens français de leur âge. Plusieurs villes les ont successivement accueillis : Lille, Roubaix, Avion, Hem, Grenoble, Voiron, La Bouisse, Saint Martin d’Hères, Figeac, Rennes, Quimper, Limoges, Tours, Angers, Laval, Douarnenez, Avignon, Carhaix, ainsi que Paris, au Théâtre de l’Epée de Bois, à la Cartoucherie et dans l’espace des associations de Paris 18. Mais c’est à Juvisy qu’ils ont donné leur première représentation, le 4 juin, devant 400 personnes enthousiastes. Ce même jour, dans l’après-midi, le Président du Conseil général de l’Essonne et le Vice-Président, Maire de Juvisy les avaient chaleureusement reçus et avaient organisé pour la circonstance, un débat en présence de Leïla Shahid.
Partout où ils se sont produits, le même succès les a accompagnés : le public, toujours nombreux les acclame, debout, parfois pendant plusieurs minutes. Les enfants, doublement acteurs de leur histoire sont ainsi devenus progressivement de convaincants ambassadeurs des revendications de leur peuple.
Certaines municipalités n’ont pas ménagé leur peine pour essayer de leur offrir en retour de beaux souvenirs de leur passage en France : réceptions par les élus locaux voire par le Maire lui-même, comme à Paris, à l’Hôtel de Ville, ballade en bateaux, dîners de fête, organisations d’activités communes avec les enfants de la municipalité etc ...
A l’origine de leur aventure en France, un rêve : celui de Jean-Claude Ponsin, président de la Société des Amis d’Al-Rowwad (voir le complément d’infos), association dont l’ambition est de promouvoir la culture palestinienne en Europe. Séduit par les membres de la petite troupe dès la première rencontre, impressionné par leur sérieux et leur volonté, Jean-Claude Ponsin a immédiatement réalisé l’intérêt de les faire venir en France, afin de leur donner la parole et de leur permettre de dire par eux-mêmes qui ils sont et ce à quoi ils aspirent.
Avec détermination et constance, il a déployé son énergie pour donner vie et corps à ce projet, formalisé avec l’appui d’AbdelFattah Abu-Srour. Pour cela, sans économiser sa peine, il s’est rendu plusieurs fois en Palestine, et sans se laisser gagner par le doute, il a défendu cette ambitieuse initiative auprès de plusieurs instances françaises et internationales. Le consulat de France et le Centre Culturel Français à Jérusalem, l’UNESCO, la Communauté européenne ainsi que plusieurs mairies françaises ont accepté de miser sur le projet et ont alloué des subventions.
Un réseau de solidarité, constitué des militants de plusieurs associations parisiennes et de province s’est mis en place pour prendre en charge l’organisation logistique et contribuer financièrement à cette belle aventure qui a pu ainsi voir le jour pour le plaisir des enfants de la troupe mais aussi de tous ceux qui ont pu assister au spectacle. La participation active de ces associations, parmi lesquelles figurent les associations de solidarité avec la Palestine, mais aussi le Secours Populaire Français, le Secours Catholique, le CCFD, Léo Lagrange, la Cimade, le Mouvement de la Paix, le MRAP, la LDH et l’ARAC (Anciens Combattants Républicains), à travers leurs délégations régionales, a témoigné ainsi, de façon constructive, de la profonde sympathie du peuple français pour la cause palestinienne.
Mais ce projet n’aurait jamais pu exister sans d’abord le talent et le désir d’AbdelFattah Abu-Srour. C’est en constatant le dés ?uvrement des enfants du camp, qu’il a décidé de créer, en 1998, le centre culturel Al-Rowwad, qui consiste en fait en deux petites pièces de 16 m2 chacune, à l’intérieur desquelles quelques 600 enfants et adultes apprennent le français, s’initient à l’informatique, pratiquent les arts plastiques et font du théâtre.
Aujourd’hui, le souhait du fondateur du centre serait de disposer d’un espace plus grand, afin d’offrir aux personnes qui fréquentent le centre, un peu plus de confort et de donner une nouvelle dimension aux activités qui y sont proposées. Car malgré l’occupation, l’oppression et l’humiliation, la vie doit continuer, le peuple palestinien doit, contre toutes les vicissitudes, poursuivre son développement, sans perdre de vue ses revendications. A cette fin, comme le souligne AbdelFattah Abu-Srour, la culture reste, malgré toutes les contraintes, un espace privilégié de résistance par l’éducation, nécessaire tant au quotidien actuel qu’il faut supporter et avec lequel il faut composer sa vie, qu’à la construction de la Palestine de demain.
Les seize enfants de la troupe d’Al-Rowwad, accompagnés de leur metteur en scène sont retournés le 23 juillet en Palestine. Souhaitons qu’ils aient emmené avec eux autant de bonheur et de beaux souvenirs qu’ils nous en ont laissés. Souhaitons également que cette expérience contribue à leur donner la force d’envisager et de construire leur avenir sans jamais renoncer à l’ambition, avec la conviction qu’ils ont une place dans ce monde et qu’ils détiennent un rôle, un véritable rôle, à y jouer.
Marie-Hélène Yessayan, avec le concours de Jean-Claude Ponsin
Note :
Une citation de Mahmoud Darwich convient parfaitement aux enfants d’Aïda :
Le temps là-bas (en Palestine) ne transporte pas les enfants de l’enfance à la vieillesse mais, d’un bond, dès leur premier contact avec l’ennemi, il en fait des hommes.