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Robes rebelles cousues dans l’étoffe de la guerre : l’histoire radicale de la broderie palestinienne

Qu’il s’agisse de robes cousues avec des couleurs interdites ou de broderies de prisonniers politiques, une nouvelle exposition relie la vie rurale à Gaza à l’art moderne d’aujourd’hui.
Chaque point raconte une histoire…


une robe rapiécée des années 1930 à Gaza

Avec son tissu délavé et ses trous reprisés, la première robe palestinienne exposée à Kettle’s Yard à Cambridge peut sembler banale à première vue. Contrairement aux thobes opulents qui figurent ailleurs dans la galerie, il s’agit ici d’un vêtement bien usé créé pour un usage quotidien. Mais voci qu’il ouvre tout de même une fenêtre fascinante sur la vie d’une femme rurale de la région de Gaza dans les années 1930 : des patchs aux genoux pour remplacer le tissu élimé par le labeur dans les champs et les travaux domestiques, des ouvertures aménagées de part et d’autre du panneau de poitrine pour faciliter l’allaitement. Les motifs brodés sont probablement inspirés de robes anciennes ou repris de vêtements passés de génération en génération. Comme pour tous les vêtements et articles brodés exposés, ils expriment l’évolution des conceptions de classe et de genre et les changements sociopolitiques.

« La broderie est une pratique qui en elle-même semble très humble : relier de façon répétitive du fil au tissu », explique la conservatrice Rachel Dedman. « Et pourtant, lorsque vous regardez attentivement les vêtements et celles et ceux qui les fabriquent, vous parvenez à saisir les grands événements de l’histoire. »

Avec plus de 40 articles répartis dans trois salles, Material Power (« le pouvoir de l’étoffe ») est la première grande exposition de broderie palestinienne au Royaume-Uni depuis plus de trois décennies. Certaines des robes, prêtées par des collections jordaniennes et cisjordaniennes, sont exposées ici pour la première fois. Grâce à des expositions en vitrine, des photographies d’archives et des séquences vidéo montrant des ouvriers et ouvrières du textile à l’oeuvre, les visiteurs peuvent retracer l’histoire de ce qui est aujourd’hui l’une des productions culturelles les plus importantes de la région, et appréhender comment une tradition villageoise primitive est devenue un formidable outil de résistance.

S’appuyant sur l’expertise de Dedman, conservatrice du Département d’art contemporain du Moyen-Orient au Victoria and Albert Museum de Londres, l’histoire ainsi racontée est riche en détail, avec une attention portée aux variations régionales dans la technique et les motifs. Au fur et à mesure que le colonialisme et l’évolution des technologies s’installent, les styles commencent à changer. Les modifications vestimentaires et les nouveaux modèles hybrides témoignent de ce processus — un processus qui reflète désormais les conflits nationaux récents.

Dans la deuxième salle, la broderie devient plus ouvertement politique. Au cours de la première Intifada à la fin des années 1980, les femmes cousaient des symboles de résistance sur leurs vêtements pour protester ; une collection saisissante de robes arborant le drapeau et les couleurs palestiniens alors interdits tapissent le mur du fond. « Aujourd’hui, lorsque nous confectionnons quelque chose pour les manifestations, c’est le souci de la rapidité qui prime– on griffonne une pancarte ou on imprime quelque chose. Mais autrefois, pour faire ce qu’elles ont fait, il fallait des années — et dans des circonstances vraiment difficiles », dit Dedman, expliquant comment les femmes avaient pu, par exemple, s’arranger pour acheter différentes couleurs de fil afin de ne pas attirer l’attention — pour ensuite coudre en secret la nuit. « Il y a quelque chose dans la durée même de la fabrication qui reflète la nature de la lutte. »
Impressionnant…


une photo Polaroid de 1973. Photographie : Avec l’aimable autorisation d’Inaash Al-Mukhayim

A l’instar de certaines des robes historiques, qui ont été retravaillées pour les nouvelles générations et pour tenir compte de l’évolution des normes et des goûts, l’exposition est une histoire vivante, ouvrant la voie vers des interprétations novatrices de cette forme d’artisanat. A côté des vêtements sont exposées des broderies contemporaines d’artistes de la région du Levant et de sa diaspora, comme les délicats treillis de cheveux humains de Mona Hatoum et la série abstraite en points de croix de Majd Abdel Hamid , qui utilise du fil blanc sur une toile blanche pour confronter et « régénérer » la pratique.

Abdel Hamid a commencé le projet en 2015 et pense poursuivre tant que ses mains fonctionnent. « C’est un geste répétitif qui donne un espace à la pensée », dit-il, soulignant la popularité accrue de cette pratique artisanale à l’échelle mondiale pendant les périodes de confinement de la pandémie. « La broderie peut aider à faire face à de nombreux traumatismes. » La couture lui permet également de renouer avec son héritage palestinien après des années de déplacement. « C’est une façon très subtile pour se retrouver chez soi. »

L’artiste libano-britannique Aya Haida, quant à elle, réinvente l’histoire de sa famille à travers des fils vibrants et des tissus « chintzy » placés sur des cercles à broder. S’inspirant des histoires que sa mère et grand-mère racontaient en lui apprenant à coudre, la série représente leurs expériences de survie pendant la guerre civile au Liban. Une des œuvres montre les membres de la famille dans le salon portant sur la tête comme casques de fortune des casseroles et des poêles ; un autre cerceau les représente cherchant à s’abriter sous un lit au cas où le plafond tomberait. Dépeintes dans une couture tremblée avec des fils colorés, les scènes sont étonnamment douces et intimes. « Oui, je parle de grands sujets comme les conflits et les déplacements, mais c’est en attirant l’attention sur ces petites histoires que l’on donne à la situation sa dimension humaine », dit-elle.

Pendant qu’elle brodait sur les cerceaux, Haidar a , comme ses ancêtres, partagé ses histoires de famille et ses compétences en broderie avec ses propres enfants. « C’était en parlant de leurs histoires pendant qu’elles cousaient qu’elles assuraient la transmission », explique-t-elle. « L’artisanat a donné aux femmes une voix avant que la société ne le fasse. »

L’histoire de la broderie levantine est celle de la résistance et du travail des femmes, mais l’exposition comprend aussi des objets brodés fabriqués par des hommes détenus comme prisonniers politiques dans les prisons israéliennes et qui utilisent ce médium pour exprimer à la fois une fierté nationale et leur affection pour les membres de leur famille. Une collection émouvante d’articles de papeterie et d’objets du quotidien personnalisés par Karam Al-Maloukh alors qu’il était emprisonné s’inspire des couleurs palestiniennes et comporte les initiales cousues à la main de lui-même et de sa femme. Réalisés entre 2005 et 2008, ils incarnent le message essentiel de l’exposition : que la broderie peut être bien plus qu’un simple passe-temps domestique.

« Il y a quelque chose d’universel et de familier dans tout textile », dit Dedman. « Mais dans cet endroit particulier du monde, on perçoit une signification qui va bien au-delà de ce que l’on attend en général de l’artisanat ou de tout ce qui est ‘ fait main ‘. »

« Material Power : la broderie palestinienne » est à Kettle’s Yard, Cambridge , jusqu’au 29 octobre.

Source : The Guardian https://www.theguardian.com/culture/2023/jul/17/rebellious-robes-and-stitches-from-the-civil-war-the-radical-story-of-palestinian-embroidery?CMP=share_btn_link

Traduction BM pour l’Agence média Palestine



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