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Oui, la résolution parlementaire sur l’apartheid israélien est justifiée, et opportune !

La résolution « condamnant l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien » proposée par 38 député.e.s de la NUPES est une initiative courageuse et justifiée. Elle doit être saluée pour cela, et elle ne tombe pas « au mauvais moment ». Bien au contraire, elle est un premier pas pour permettre à la Gauche française de sortir enfin du déni et reconnaître aux droits nationaux des Palestiniens la même valeur qu’à ceux des Israéliens juifs.

Elle est parfaitement justifiée car elle appelle l’opinion de notre pays à regarder la réalité en face : le gouvernement israélien mène une politique d’apartheid dans les territoires occupés de Cisjordanie en poursuivant sans relâche une colonisation de peuplement massive et brutale, avec le soutien ouvert de l’armée et de la police. Il impose à la population de Gaza un blocus violent et destructeur, au-delà même de l’apartheid. De plus, même si beaucoup ont encore du mal à l’admettre, il institutionnalise une discrimination systématique des Palestiniens à l’intérieur même du territoire israélien.

Elle est bienvenue parce qu’il est plus que temps de sortir du déni de cette réalité que l’espoir dans un « processus de paix » a longtemps réussi à masquer. La résolution proposée met devant ses responsabilités une « Gauche progressiste » qui a toujours déclaré son soutien aux Palestiniens sans aller jusqu’à pouvoir leur reconnaître des droits nationaux aussi légitimes que ceux des Israéliens juifs.

Or c’est cette difficulté-là qui est mise en lumière par les réactions hostiles à cette initiative, qui semble provoquer chez certains une « révulsion ».

Une politique d’apartheid dans les territoires occupés

De grandes ONG comme Amnesty International et Human Rights Watch, mais aussi de respectables institutions universitaires américaines, telle la Faculté de Droit de Harvard, ont documenté et démontré que la politique israélienne dans les territoires palestiniens est bien une politique d’apartheid, dans le sens défini par par le Statut de Rome (1998) instituant la Cour Pénale Internationale.

Ceux qui récusent la comparaison avec l’Afrique du Sud objectent que l’intention et l’idéologie ne sont pas comparables. Cependant la politique par laquelle les gouvernements israéliens successifs ont imposé leur domination sur les Palestiniens en Cisjordanie et à Gaza a créé une réalité qui est bien aujourd’hui celle d’un régime discriminatoire et ségrégationniste, certes différent mais comparable à l’Apartheid sud-africain. Cette politique doit donc être condamnée pour les mêmes raisons, et il suffit d’un peu de bonne foi et de lucidité pour le reconnaître.

Mais il y a plus difficile.

Une politique d’apartheid en Israël

Les conclusions d’Amnesty International et Human Rights Watch ne se limitent pas à la Cisjordanie ou à Gaza. C’est sur l’ensemble du territoire contrôlé par le gouvernement israélien, « du Jourdain à la Méditerranée », donc aussi en Israël, que les Palestiniens subissent une politique d’apartheid selon les critères du Statut de Rome.

Or, si beaucoup sont prêts à reconnaître et condamner un apartheid en Cisjordanie et à Gaza, ils ne sont pas prêts à mettre en question la politique des gouvernements israéliens vis-à-vis des « Arabes israéliens », c’est-à-dire les Palestiniens qui ont pu jusqu’ici continuer à vivre sur le territoire israélien. Il y a des députés « arabes » à la Knesset, les Palestiniens d’Israël jouissent en principe des mêmes droits civiques et sociaux que les citoyens juifs, etc.

En pratique, cependant, les discriminations sont constantes depuis l’origine, et elles sont aujourd’hui institutionnalisées depuis le vote de la loi proclamant Israël comme « Etat-nation du peuple juif » en 2018. Désormais, c’est très officiellement que les citoyens non-juifs d’Israël ne peuvent pleinement faire reconnaître leurs droits, droit d’aller et venir, droit à la nationalité, droit au mariage, droit de propriété, droit d’accès aux ressources naturelles, etc., au même titre que les citoyens juifs.

Une telle politique discriminatoire est la conséquence nécessaire et voulue des choix faits par les gouvernements israéliens successifs, auxquels la loi de 2018 a donné un fondement constitutionnel. Certes, Israël ne reconnaît pas le Statut de Rome, mais la France l’a ratifié. Il est donc pleinement légitime en France de qualifier d’apartheid la politique discriminatoire vis-à-vis des « Arabes israéliens » dans la mesure où elle répond à cette définition. Et c’est aujourd’hui clairement le cas.

Mais cette réalité ne date pas d’aujourd’hui.

Le déni du droit des Palestiniens à l’autodétermination

La loi de 2018 proclamant Israël comme « Etat-nation du peuple juif » est un évènement majeur mais elle n’est pas, malgré les apparences, une rupture avec le projet « sioniste démocratique » de la période précédente, qui recueillait dans la majorité de l’opinion française une sympathie n’excluant pas la critique. C’est en réalité l’institutionnalisation d’un processus de discrimination vis-à-vis des Palestiniens qui a été constitutif de la construction de l’Etat d’Israël depuis 1948.

Ce qui est difficile à admettre aujourd’hui pour ceux qui s’offusquent de la résolution proposée par les député.e.s, c’est que cet apartheid, que certains d’entre eux veulent tout au plus reconnaître dans les territoires occupés depuis 1967, est déjà inscrit dans la création de l’Etat d’Israël comme colonie de peuplement sur le territoire de la Palestine mandataire.

Le refus scandalisé de mettre sur le même plan Israël et l’Afrique du Sud exprime le statut particulier accordé au projet sioniste dans la conscience européenne : une légitime réponse aux persécutions européennes et au génocide hitlérien, qui ne peut être réduite à un projet de domination coloniale.

Or c’est ce statut privilégié qui est mis en question par la reconnaissance de la réalité actuelle si l’on ne la considère pas seulement du point de vue de la Gauche progressiste européenne, qui se soucie des droits humains et de la défense des Palestiniens opprimés tant qu’ils ne mettent pas en cause le projet sioniste réalisé en Palestine, mais du point de vue des Palestiniens eux-mêmes dont les droits nationaux ont été déniés par la réalisation de ce projet.

Cette sympathie pour le sionisme et son approbation dans l’opinion ont longtemps conduit à relativiser les droits nationaux des Palestiniens. Le premier d’entre eux, le droit à l’autodétermination proclamé depuis 1945 par la Charte des Nations Unies, n’a jamais été reconnu aux Palestiniens.

Ni en 1947, avec le plan de partage de l’ONU qui, en proposant la création d’un « Etat juif » et d’un « Etat arabe » sur le territoire de la Palestine mandataire, n’a tenu aucun compte de la volonté des Arabes palestiniens.

Ni en 1993 avec les « accords d’Oslo » qui concédaient aux Palestiniens leur reconnaissance comme « peuple » hors d’Israël, mais ne leur ont pas pour autant reconnu des droits nationaux. Le sort des Palestiniens d’Israël n’était pas pris en considération, et la « solution à deux Etats » n’impliquait pas la reconnaissance d’un droit à l’autodétermination des Palestiniens, un droit inconditionnel dans son principe qu’il faudrait réaliser pragmatiquement en tenant compte de la réalité. C’était une « solution » conditionnelle, qui ne reconnaissait pas aux Palestiniens une pleine souveraineté sur les territoires qui leur seraient concédés, et encore moins le « droit au retour » des réfugiés palestiniens sur leur terre natale. Ce droit n’a pas seulement été refusé comme irréalisable en pratique, mais dans son principe-même. Et la création d’une « Autorité palestinienne » n’était pas censée déboucher sur l’exercice d’une souveraineté nationale de plein droit mais sur une administration coopérant avec les autorités israéliennes en Cisjordanie et à Gaza.

Ni en 2006, lorsque la « communauté internationale » a mis dans l’impossibilité d’exercer son mandat le gouvernement légitime issu des élections démocratiques en Cisjordanie et à Gaza, en lui imposant des conditions inacceptables (les trois conditions du Quartet, dont seule l’exigence du respect des accords conclus entre Israël et OLP était acceptable par un gouvernement palestinien). Ce déni de légitimité pour un choix démocratique, pourtant l’expression même du droit d’un peuple à l’autodétermination, a eu des conséquences catastrophiques pour les Palestiniens : la mise sous blocus de Gaza depuis 2007, et la dégénérescence d’une « Autorité palestinienne » qui a perdu sa légitimité démocratique depuis des années faute d’élections.

Ni aujourd’hui, alors que la « solution à deux Etats » n’est plus qu’un mirage, une incantation permettant de faire semblant de croire à la poursuite d’un « processus de paix », voire de « rêver » comme le revendiquent certains, pour ne pas avoir à regarder la réalité en face : la poursuite d’une colonisation massive et violente dans les territoires occupés de Cisjordanie, l’enfermement inhumain imposé par la force aux Palestiniens de Gaza, l’institutionnalisation d’un apartheid généralisé sur tout le territoire de l’ancienne Palestine, y compris en Israël.

La perspective d’Oslo et la « solution à deux Etats » dont se réclament encore ceux qui s’offusquent de la résolution proposée et s’affirment partisans d’une « paix juste et durable » sur cette base, accordaient aux droits nationaux des Israéliens juifs une prééminence, un surcroît de légitimité par rapport à ceux des Palestiniens, et la « solution à deux Etats » préservait cette prééminence.

Or cette perspective elle-même a été irrémédiablement détruite, et d’abord par la politique constante des gouvernements israéliens depuis Sharon qui a rendu irréalisable cette « solution à deux Etats », dont le principe même contredisait selon eux le projet sioniste dont ils se voulaient les porteurs.

La porte ayant été ainsi fermée à une « solution » qui promettait à la Gauche progressiste européenne de concilier son souci des droits humains élémentaires des Palestiniens avec sa bienveillance pour un « sionisme démocratique », le second surplombant moralement les premiers, il lui reste à en faire son deuil.

Mais cela est doublement difficile.

Le deuil difficile de la perspective d’Oslo et le chantage à l’antisémitisme

Faire son deuil de la perspective d’Oslo, cela requiert de ne plus considérer la situation des Palestiniens de notre propre point de vue empreint de compassion, mais du point de vue des Palestiniens eux-mêmes, qui subissent une domination et une discrimination fondées sur un déni de leur droit fondamental à l’autodétermination. C’est de ce point de vue que l’on peut reconnaître la politique israélienne vis-à-vis de l’ensemble des Palestiniens comme une forme d’apartheid.

Un tel deuil est déjà difficile et douloureux pour des gens de bonne foi qui voudraient pouvoir continuer à concilier leurs idéaux universalistes et démocratiques avec leur attachement de principe à la prééminence morale d’un projet sioniste qui, dans sa réalisation, tourne le dos de plus en plus clairement à ces idéaux, surtout depuis le tournant nationaliste de ses porteurs. au tournant des années 2000.

Mais il est rendu encore plus difficile par le chantage permanent à l’ « antisémitisme » menaçant les mouvements d’opinion qui tentent de faire valoir les droits fondamentaux des Palestiniens sans se contenter d’un soutien compassionnel et verbal. La campagne BDS a beau montrer, par ses paroles et ses actes, qu’elle se garde de toute ambigüité ou complaisance vis-à-vis de l’antisémitisme, suivant ainsi les directives du Comité National Palestinien (BNC) inspirateur de la campagne internationale BDS, légaliste et non-violente. Les grandes ONG internationales ou israéliennes ont beau donner toutes garanties dans le même sens. Cela ne semble pas suffire à les préserver d’une diabolisation qui vise ouvertement à intimider les soutiens qu’elles reçoivent. Une diabolisation le plus souvent d’une mauvaise foi évidente mais qui instille un soupçon intolérable pour nous tous, dans une société qui a fait du rejet de l’antisémitisme une de ses valeurs fondatrices depuis la victoire sur le nazisme.

Les réactions outrées à la résolution sur l’apartheid, et les assauts de mauvaise foi dans les débats à l’Assemblée qui ont suivi, sont la manifestation la plus récente de cette diabolisation. Mais elle inspire depuis des années les autorités gouvernementales, en France et dans les autres pays européens, qui tentent d’entraver la campagne BDS, de disqualifier les ONG internationales, de bâillonner ceux qui les soutiennent et d’intimider ceux qui seraient tentés de le faire.

La liberté de soutenir les droits des Palestiniens contestée en France

Le gouvernement français a tenté depuis 2016 d’interdire la campagne BDS avec la Circulaire Alliot-Marie, en attribuant aux actions de boycott des motivations antisémites pénalement condamnables. Cette circulaire n’a toujours pas été abrogée malgré le démenti apporté par la CEDH dans son arrêt du 11 juin 2020 qui réaffirme que « le boycott est avant tout une modalité d’expression d’opinions protestataires » et que l’appel au boycott de produits israéliens relève de la liberté d’expression. À ce jour, le gouvernement français n’a pas voulu reconnaître la portée de cet arrêt.

Le Parlement français a adopté en 2019, hâtivement et de justesse, sous la pression d’une intense campagne internationale, la « définition de l’antisémitisme selon l’IHRA » (International Holocaust Remembrance Association).

Ce n’est pas la « définition » elle-même qui pose problème telle qu’elle a été soumise au vote : elle est consensuelle parce que quasiment tautologique. Le vrai ressort du dispositif, sa fonction de verrouillage, réside dans les « exemples » joints à la définition pour l’illustrer, qui n’ont pas été soumis au vote mais qui font partie du « paquet » censé avoir été adopté avec la résolution.

Parmi ces « exemples », le plus important criminalise la critique du projet israélien comme projet raciste, ségrégationniste, etc., donc, dans le débat actuel, comme projet impliquant une politique d’apartheid. Cette critique est réputée antisémite parce qu’elle conteste la « réalisation des droits nationaux du peuple juif ».

Autrement dit, ce qui devient interdit comme expression d’antisémitisme c’est le soutien aux droits nationaux du peuple palestinien qui ont été niés par la réalisation des droits nationaux du peuple juif en Palestine : le fait même de défendre publiquement le point de vue national des Palestiniens est donc censé devenir un délit pénal.

La vraie cible de cette campagne internationale pour l’adoption par les Parlements européens de la définition de l’antisémitisme selon l’IHRA n’est pas l’ « antisémitisme » (elle n’apporte rien de nouveau) mais les mouvements d’opinion qui, comme BDS ou les grandes ONG internationales, veulent faire reconnaître pour ce qu’elle est la politique israélienne d’apartheid colonial, en Cisjordanie et à Gaza comme en Israël.

Ce que nous devons attendre de nos député.e.s

Répétons-le : à ce jour, le gouvernement français n’a pas abrogé la Circulaire Alliot-Marie, ni la circulaire Mercier qui l’a confirmée, il n’a pas non plus reconnu la portée de l’arrêt de la CEDH qui la contredit.

Face à cette volonté d’entraver la liberté d’expression pour servir une politique ouvertement partiale, et compte tenu de l’étouffement que subit aujourdhui toute défense des droits nationaux des Palestiniens dans les institutions politiques et médiatiques en Europe, le simple fait que plusieurs dizaines de député.e.s d’un grand Parlement national aient pris l’initiative pour condamner « l’institutionnalisation par Israël d’un régime d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien » constitue un début.

Cette initiative peut être un premier point d’appui pour mettre les député.e.s devant leurs responsabilités et obtenir à court terme l’abrogation des injustifiables circulaires Alliot-Marie et Mercier, ainsi que la reconnaissance de la jurisprudence CEDH. Sans oublier une prise de distance indispensable avec la résolution qu’ils ont votée en 2019 sur la « définition de l’antisémitisme » sans en mesurer les implications.

Nous n’attendons pas de nos député.e.s des confrontations idéologiques dans lesquelles chacun réaffirme sa vision du monde en ne retenant de la réalité que ce qui la confirme. Nous attendons d’eux qu’ils refusent qu’une politique partiale et attentatoire à la liberté d’expression soit menée au nom de la Nation française dont ils sont les représentant.e.s élu.e.s.

Ce serait à la fois la moindre des choses et un premier pas important pour changer les termes du débat.

Pierre Prades est un militant pour les droits des Palestiniens au sein du groupe BDS France Paris-Région parisienne



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