Aujourd’hui, les enfants n’ont que la rue pour jouer et s’exprimer. Lancer une pierre contre un char israélien qui occupe le camp, c’est une réaction spontanée." Plus de 40 % de la population a moins de 15 ans, le chômage touche 60 % des habitants. Le camp est cerné par deux barrages militaires et surplombé par la colonie de Gilo. Depuis le début de la deuxième Intifada, 26 personnes ont trouvé la mort a Aïda, dont cinq enfants. "En fondant Al-Rowwad, j’ai voulu sauver la vie de ces gamins. Je ne veux pas qu’ils deviennent un numéro de plus sur la longue liste des martyrs. Au théâtre, ils jettent des pierres, meurent... et ressuscitent."
Les enfants ont travaillé trois ans sur la pièce. "Je suis parti de leurs improvisations", explique Abed. Peu a peu, la trame s’est mise en place toute seule : pour raconter leur histoire, celle des parents et des grands-parents, les enfants ont fini par assimiler celle de la Palestine, de la déclaration Balfour en 1917 à la deuxième Intifada, en passant par la guerre de 1948, l’exode des réfugiés, la défaite de 1967 et l’occupation, puis l’Intifada et la paix sans paix d’Oslo. La pièce se présente comme une succession de tableaux, parfois très courts et au symbolisme un peu appuyé. Le passage où les gosses brocardent la litanie absurde des plans de paix avortés est hilarant. Celui où quatre d’entre eux "jouent" aux soldats israéliens sur un check point, avec un réalisme sadique, fait froid dans le dos.
Qu’ils soient sur scène ou "en civil", les enfants d’Al-Rowwad se conduisent comme des ambassadeurs itinérants. Ballottés de réception municipale en collège de banlieue, ils honorent leurs obligations sans moufter. "Comme ça, les gens sauront que les Palestiniens ne sont pas tous des terroristes, explique Anas. Plus tard, un jour, ils feront bouger les choses." Ces enfants ne reproduisent pas le discours des adultes qui les entourent. Ils sont déjà des adultes.
Christophe Ayad, Libération du 3 juillet 2003