« Je suis née le 3 novembre 2000.
Le 31 décembre 2014, il devait être 8h30, je me rendais à l’école pour mon dernier examen d’anglais. J’étais seule. Une jeep de l’armée israélienne est arrivée près de moi. Quatre soldats m’ont ordonné de m’arrêter. Ils sont sortie et m’ont frappée à la tête avec une matraque et m’ont battue à coup de poing et de pieds. Je suis tombée.
Ils m’ont jetée dans leur jeep, ma tête a heurté violemment l’intérieur. L’un des soldats avait son pied sur mon cou.
J’ai perdu conscience.
Je me suis réveillée avec les mains et les pieds liés et les yeux bandés.
Les Israéliens m’ont emmenée dans un centre d’interrogatoire. Ils ont d’abord pris mes empreintes et des photos de moi.
Un inspecteur m’a demandé mon nom, mon âge et d’où je venais.
Il m’a accusée d’avoir jeté des pierres et d’avoir l’intention de tuer un soldat israélien. Il m’a demandé qui m’avait envoyée pour faire ça.
Il a menacée de me frapper et d’envoyer toute ma famille en prison si je ne disais rien.
Puis, il m’a mis des feuilles écrites en hébreu sous les yeux et m’a dit : « ta famille est arrivée. Signe, tu pourras sortir. ».
J’ai signé mais je ne comprenais pas ce qui était écrit et je ne parle pas hébreu non plus.
En fait j’ai compris plus tard qu’il s’agissait d’aveux. Les Israéliens m’accusaient d’avoir jeté des pierres, d’avoir voulu attaquer un soldat avec un couteau et d’entraver la route.
En réalité moi j’allais simplement à l’école avec un stylo et mon cahier.
C’est le conseil du village qui a prévenu ma famille de mon arrestation.
Ils sont venus au centre d’interrogatoire pour essayer de me faire sortir. Mon frère parle un peu hébreu, il a demandé aux Israéliens de me voir, c’était impossible.
Ma famille a demandé un avocat pour moi mais les Israéliens ont dit : « Non, votre fille est trop dangereuse. On vous appellera à 17h pour vous dire dans quelle prison elle se trouve ».
Immédiatement, le Club des prisonniers (association qui vient en aide aux prisonniers palestiniens) a pris l’affaire en main et a mis en place une campagne de libération. A 17h, les Israéliens l’ont contacté pour annoncer que j’étais à la prison d’Asharon.
Je me suis retrouvée dans une cellule avec quatre autres jeunes âgés de 17 à 19 ans.
A 2h du matin, l’administration pénitentiaire m’a dit que je partais pour le tribunal militaire à 5h du matin. Ma famille n’a pas été avertie.
Je suis arrivée là-bas vers 9h30. On m’a mise dans une cellule pendant quatre heures.
J’ai refusé leur nourriture parce que c’était vraiment mauvais.
J’ai vu mon avocat pour la première fois à l’intérieur du tribunal où je suis restée dix minutes environ avec les pieds et les mains liés. La traductrice ne semblait pas du tout préoccupée par ce qui se passait, moi je ne comprenais rien.
Je suis retournée à la prison d’Asharon à 23h. J’étais très fatiguée, je me suis endormie toute de suite.
J’ai été réveillée à 5 h, comme tous les jours qui ont suivi là-bas, par les gardiens qui faisaient l’appel.
Il faisait froid et je n’avais qu’une couverture très fine. J’avais de la fièvre et mal à la tête, je ne pouvais pas me lever.
On m’a seulement donné de l’aspirine. De toute façon, j’ai vite compris que même au bord de la mort, l’administration pénitentiaire ne vous donne que de l’aspirine.
Heureusement Lina al Jarbouni, une autre prisonnière, m’a prise entre ses bras pendant quatre nuits pour me réchauffer.
En tout, je suis allée quatre fois au tribunal militaire israélien et deux fois sans la présence de ma famille.
Mais même quand mes parents ont pu venir, les soldats étaient toujours autour de moi, personne ne pouvait m’approcher.
Durant mes deux mois d’emprisonnement, je n’avais pas le droit aux visites. Cette période m’a parue comme 1000 ans.
Quand je suis allée au tribunal au mois de janvier, il faisait trop froid, il neigeait dehors et je n’avais qu’une chemise légère.
Mes parents avaient ramené une veste mais le juge a refusé qu’on me la donne.
A la place il a ordonné à ma famille de payer 6000 shekels (environ 1455 euros) et m’a condamnée à 3 ans de prison avec sursis.
Le juge a demandé à mon père quelle était sa requête.
Mon père lui a dit : « votre miséricorde ».
Le juge a dit : « demandez à Dieu, pas à moi. »
Quand est arrivé le tour de ma mère, elle a simplement demandé qu’on me donne la veste et de l’argent pour ma cantine (1).
Le juge a répondu qu’à l’intérieur du tribunal ce n’était pas possible mais que j’aurais la veste plus tard. Ce n’est jamais arrivé.
Pour l’argent, je n’ai pu y avoir accès qu’après deux semaines. Ma cantine ne fonctionnait pas au début.
Chaque jour nous étions réveillées à 5h pour l’appel. Puis, nous, les plus jeunes, nous mangions le petit déjeuner préparé par les prisonnières plus âgées.
Après nous faisions le ménage de notre cellule et ensuite il y avait les travaux de broderies palestiniennes.
Plusieurs fois par jour, les gardiens venaient frapper les murs et les fenêtres, officiellement pour vérifier qu’il n’y avait pas d’anomalie, mais surtout pour nous déranger.
A partir de 18h, on n’avait plus le droit de sortir de la cellule. Même si tu es en train de mourir, c’est impossible d’ouvrir la porte de ta cellule.
Souvent, en plein milieu de la nuit, les soldats venaient avec des lampes pour nous déranger. Ils nous embêtaient avec leur fumée de cigarette.
Lina al Jarbouni m’enseignait l’hébreu parce que c’était interdit pour moi de faire entrer des manuels scolaires de mon niveau au sein de la prison.
Elle s’occupait toujours des plus jeunes prisonnières. Elle cuisinait et quand l’une d’entre nous n’avait plus d’argent sur sa cantine, elle mettait de la nourriture à disposition.
Pendant ce temps ma propre mère était tous les jours en contact avec le club des prisonniers pour demander de mes nouvelles.
J’ai été libérée le 13 février 2015. Je suis contente d’être sortie mais je suis fatiguée.
Mes pensées sont avec les autres prisonnières toujours enfermées là-bas.
Mes camarades et mes professeurs m’ont aidée à reprendre l’école. Malgré tous les cours que j’ai manqués, le ministère de l’Éducation a demandé que je passe dans la classe supérieure à la rentrée prochaine.
Je veux étudier pour devenir avocate et faire enfermer le juge qui m’a mise en prison. Je veux inverser les rôles, je veux que les Israéliens aillent en prison.
Je viens bientôt passer une radio du crâne car depuis que ma tête a heurté la jeep le jour de mon arrestation, j’ai des problèmes de concentration. On attend le salaire de mon frère le mois prochain.
Il y a une prisonnière qui s’appelle Amal. Quand elle s’est fait arrêter, les Israéliens lui ont tiré cinq fois dessus. Elle ne peut plus marcher, elle souffre beaucoup.
L’administration pénitentiaire ne lui donne que de l’aspirine.
Si je dois passer un message en France : soutenez les prisonniers palestiniens ! »
La mère de Malaak
Malaak est plus en colère qu’avant son emprisonnement. Elle est à côté de nous mais elle n’est pas là. Elle n’arrive pas à rester à la maison. Nous lui parlons, mais elle n’écoute pas.
Elle a toujours eu une forte personnalité mais la prison a fait ressortir les côtés négatifs.
Et puis, elle a perdu beaucoup de poids, elle ne mange pas beaucoup. Deux semaines avant son arrestation, elle avait passé une échographie et le docteur avait diagnostiqué un souci au niveau de l’estomac. La prison n’a rien arrangé.
A sa sortie, Malaak, n’a pas suffisamment été prise en charge par l’Autorité Palestinienne.
Des premiers examens ont révélé une carence en vitamine B12.
Maintenant, on attend le salaire de l’un de mes fils pour faire trois radiographies de la tête, une nouvelle échographie et un traitement pour la carence.
Le père de Malaak
Le monde et le gouvernement français doivent prendre conscience de la situation de notre peuple. Il faut que vous agissiez !
Note :
1. Cantine : chaque détenu possède un compte alimenté par les familles, quand elles peuvent se le permettre. Celui-ci est géré par l’administration pénitentiaire israélienne. Ce petit pécule permet aux prisonniers d’acheter des produits alimentaires de base et d’hygiène, vendus dans un magasin au sein de la prison.?Les gardiens de prison interdisent quand bon leur semble l’accès à cette « épicerie ».
* Elsa Grigaut, journaliste indépendante, a écrit plusieurs livres concernant la Palestine. « Femmes de Naplouse emprisonnées en Israël » (2011), « Vivre sous l’occupation » (2012), « Palestiniennes ! » (2013) et « Réfugiés » (2014).
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