Témoignage d’Elsa,
Ramallah, le 24 mai 2006
Savez-vous que depuis la semaine dernière a lieu une exposition de « tentes de la paix » à Tel-Aviv ?? A lieu la "saison française en Israel"...
Philippe Douste Blazy (tant pis si j’écorche son nom) est ici depuis une semaine (non pas ici, en Israël), pour entretenir l’amitié Franco-israélienne. Alors la France et Israël sont amies ??
Des millions d’Euros ont été dépensés pour cette exposition incohérente, imbécile des tentes de la paix.
De la Paix où ??
La paix existe ici ??!!!
De qui se moque-t-on ??
Et nous n’avons pas d’argent à envoyer aux palestiniens, c’est ça ?? Mais d’où vient cet argent ?
Aujourd’hui, il y a moins d’une heure, l’armée israélienne était sur la place Manara, la place principale de Ramallah. Ils ont tiré n’importe comment, sur n’importe qui. Ils ont blessé des enfants, des adolescents. Ils ont tiré sur une population armée de pierres. Ils ont détruit des magasins. J’ai comme un goût de déjà vu dans la bouche, mais surtout un goût de ras-le bol. J’ai honte. J’ai honte, j’ai honte, plus que jamais.
Le gouvernement a dépensé mon argent, votre argent pour cette exposition
à Tel-Aviv. Et dépense aussi depuis bien longtemps notre argent pour
qu’Israël continue de tuer.
Quand cette folie va-t-elle enfin s’arrêter ??
La semaine dernière quatre soldats sont entrés dans la maison d’Iyad, un
de mes élèves de piano. Iyad a 26 ans, il est l’aîné d’une fratrie de
trois jeunes hommes. Quatre soldats donc sont entrés, en pleine nuit, et ont
enlevé (je refuse de parler « d’arrestation ») mon élève et ses frères.
Ils les ont menottés, leur ont bandé les yeux et les ont embarqués dans
une des 5 jeeps blindées présentes dans le quartier cette nuit là et
sont partis, emportant les trois frères. Ils ont fait descendre Iyad, après
15 minutes de route. D’autres soldats sont arrivés et la jeep est repartie,
avec les deux frères d’Iyad qui avait toujours les yeux bandés et les
mains coincées dans des menottes trop petites.
Ils ont commencé à le rouer de coups (selon lui, ils devaient être 5
d’après les voix qu’il entendait). Iyad n’a pas su nous dire combien de
temps ça a duré. Ils l’ont ensuite relâché et l’ont abandonné comme ça,
au milieu de nulle part. Il est rentré chez lui à pieds, en espérant
retrouver sa famille. Mais seuls ses parents étaient présents. Son plus jeune frère
est rentré le lendemain soir, incapable de raconter ce qui venait de lui
arriver. Nous n’avons toujours pas de nouvelle du troisième fils de Om
Iyad (parce que oui, Iyad a une mère, je suis bien là en train de parler
d’êtres humains qui se font torturer, sans raison. Iyad et ses frères ne
font partie d’aucune organisation).
Alors ces tentes de la paix, elles veulent dire quoi ?? Douste Blazy
a-t-il le droit de se rendre en Israël et de parler d’une amitié
Franco-israélienne ? Je suis française mais je hais depuis peu Israël du
plus profond de mon être, et je refuse que le gouvernement de mon pays
soit complice de toutes ces ignominies.
Je n’ai plus peur de parler de haine car comment nommer autrement ce
sentiment qui m’anime lorsque je vois un soldat tirer n’importe où, dans
ces rues qui me sont devenues intimes, comme s’il ne savait pas que des
hommes sont postés devant lui.
Mais que sont-ils venus faire à Ramallah ?? Ils sont venus arrêter un
homme dangereux. Et ont tué plusieurs civiles, plusieurs innocents au
passage. Ils n’ont pas le droit d’être là.
Imaginez-vous, dans votre ville, à faire des courses dans l’épicerie du
coin et, soudainement un, deux, trois coups de feu, deux hélicoptères se
font entendre et un troupeau de jeeps arrivent. C’est le début d’un trop
long affrontement.
Mais qu’est-ce que je raconte ?? Il vous est forcément impossible
d’imaginer ce genre de scène (et c’est tant mieux, j’en suis sincèrement
ravie) ; la France n’est pas en guerre.
Et pourtant elle participe aux meurtres, aux enlèvements, aux
emprisonnements. Nous sommes tous coupables, nous européens de ce qu’il
se passe ici, en PALESTINE.
Et les Palestiniens sont plus seuls jour après jour. Alors évidemment
qu’ils se tournent et s’accrochent à la religion. A quoi pourraient-ils
bien s’accrocher ?? A la « communauté » internationale. ? On a oublié il
y a bien longtemps le sens de ce mot « communauté » . Et alors « égalité »,
« fraternité », « liberté ».
J’ai mal.
J’ai mal de savoir que je participe malgré moi à cette tuerie, que la
balle qui a atteint la tête de ce jeune homme il y a à peine une heure,
est le fruit de cette foutue amitié Franco-israélienne.
Et savez-vous à quel point les soldats qui ne tirent pas (parce
qu’heureusement, il y en a), sait-on à quel point ils sont détruits
après une opération comme celle-ci. ? Connaissez-vous le taux de suicide de la
jeunesse israélienne. ? Si vraiment cette amitié Franco-israélienne
existait, ne cesserions-nous pas de payer leurs armes ?
On m’a encore interdit de sortir de chez moi aujourd’hui : « c’est trop
dangereux, reste à la maison, tes élèves ne pourront pas venir de toute
façon. »
Je suis alors descendu dans la famille de Saed, mon voisin du dessous,
pour regarder avec eux les actualités. Et j’ai vu le désastre. J’ai eu
mal de voir les soeurs de Saed trembler de ne pas arriver à joindre leur
mère, je les ai vus m’embrasser quand je leur ai appris que j’avais déjà
appelé Saed pour lui dire de rester à la fac. Et j’ai eu aussi très mal de les
entendre me demander de manger ce qu’ils m’avaient gentiment préparé.
Ils n’ont pas compris pourquoi je ne pouvais rien avaler. Ils m’ont proposé
d’éteindre la télé comme si tout ce qu’on voyait n’était qu’un film.
Pour eux c’est tellement banal. Et ici, contrairement à chez nous, on ne
cache pas les corps des hommes morts. Je veux dire, ceux qui sont tombés pour
de vrai et pour toujours, quelques minutes plus tôt. On m’a expliqué que
c’était pour que les familles des victimes soient au courant. Mais
manger devant ce spectacle. C’est trop pour moi qui ne suis pas né dans un pays
en guerre alors que je m’efforce de rester calme, en respect à cette
famille qui m’accueille et qui ne partira pas dans 2 mois, comme moi,
dans un pays plus calme.
Je ne sais plus quoi vous demander, si ce n’est de refuser.
Refuser en masse ce que notre gouvernement fait dans notre dos.
Refusez en masse qu’une trop importante partie de vos (nos) impôts
servent directement à l’armée.
Elsa FERRARI