« Nous ne devons pas tomber dans le piège du dialogue des civilisations », lançait mardi soir le professeur Georges Corm devant un public venu très nombreux (dont des anciens ministres et chefs du gouvernement) à la grande salle des conférences de l’hôtel El Aurassi pour la rencontre-débat organisée par l’ANEP sur le thème : « Guerre froide ou guerre chaude au Moyen-Orient ».
Fidèle à son image d’intellectuel résistant, comme l’a été le regretté Edward Saïd, Georges Corm ne cache pas ses sympathies pour les mouvements de résistance libanaise et palestinienne. Il revendique et appelle même à une pensée résistante à « l’hégémonie de la pensée occidentale ». Il explique, d’ailleurs, la guerre sauvage menée contre le Liban par « son refus de se soumettre à l’hégémonie de l’axe du mal israélo-américain ». Mais, rappelle Georges Corm à ceux qui se laisseraient bercer par la confortable situation de victime, « c’est la dynamique de l’échec dans le monde arabe qui favorise l’intervention étrangère ». « Le Moyen-Orient fait face à une guerre froide et chaude en même temps qui pourrait déboucher à une guerre mondiale », ajoute-t-il en pointant du doigt la complicité des pays occidentaux à l’égard d’Israël. Il en veut pour preuve la déclaration de la chancelière allemande dont les frégates surveillent les côtes libanaises, le pays agressé, pour « la protection d’Israël », le pays agresseur.
Mais, le conférencier s’étonne encore plus du « silence des pays arabes » devant une telle déclaration. Ce désir d’hégémonie Georges Corm l’explique par « l’ambition de la pensée occidentale à unir l’univers pour le dominer ». Une attitude qui « remonte, selon lui, à Christophe Colomb, aux Croisades et à l’expulsion des Arabes de l’Espagne, et qui se prolonge jusqu’à nos jours par une sorte de pensée réactionnaire qu’on pourrait désigner par néo-libéralisme et néo-conservatisme ». Le fondement de la pensée stratégique occidentale est, selon le conférencier, « la peur de l’apparition de toute puissance en dehors des Etats-Unis et de l’Union européenne ».
La peur de la Chine, de la renaissance de la Russie, et aussi de l’ascension de l’Iran. Georges Corm s’étonne, d’ailleurs, que l’Iran soit considéré, aussi bien par certains régimes arabes et par un pan entier d’« intellectuels » de la région, comme un « danger ». Pour cet ancien ministre libanais de l’Economie (1998-2000), « l’Iran défend la cause arabe et aide la résistance libanaise », c’est donc un allié et non pas un ennemi du monde arabe. Quant à son statut de puissance régionale, « l’Iran le doit non seulement à ses capacités mais aussi à l’absence des pays arabes », ajoute-t-il. Et de s’interroger : « Quelle est cette logique qui préfère la domination américaine et israélienne au rôle régional que joue l’Iran ».
A ce propos, il invite la presse arabe et algérienne à ne pas utiliser la terminologie américaine désignant l’Iran et la Syrie « d’axe du mal ». Concernant l’agression israélienne contre le Liban, Georges Corm qualifie la résistance libanaise de « miracle » et met en garde contre toute « tentative de faire oublier la victoire du Hezbollah contre une des plus puissantes armées du monde ». C’est, dit-il, « une porte ouverte sur l’espoir qui nous a été interdit depuis longtemps ».
Le conférencier met en garde aussi contre des slogans de type « dialogue des civilisations » dont la finalité est de « nous éloigner des véritables missions du monde arabe ». « Cela nous rappelle le slogan de la « cohabitation pacifique » lancé par les USA à l’endroit de l’ex-URSS au moment de la guerre froide pendant que les Etats-Unis préparaient le démantèlement de l’Union soviétique ». « Nous faisons face à une guerre psychologique comme à l’époque de la guerre froide », ajoute M. Corm qui considère que certaines dénominations de type « fascisme islamique » et de « subversion islamiste » sont une arme de guerre utilisée par les « services secrets » appuyés par des « élites nationales » achetées à coup de « prix et de distinctions ». « Tout cela n’est qu’une guerre de domination occidentale », dit-il, sans pour autant oublier l’infantilisme de certaines fractions islamistes occupées à « désigner et combattre les mécréants » au lieu d’aider à construire des Etats forts.
Il appelle aussi à faire face à « la fitna des mouvements « takfiristes » dans le monde musulman ». Revenant sur les problèmes de la colonisation de la Palestine, du Sud Liban, du Golan et de l’Irak, ainsi que sur les agressions israéliennes, l’orateur estime qu’il s’agit « d’une question du droit international et non pas d’un dialogue des civilisations ». Georges Corm appelle à une seconde « Nahda arabe » et considère que « le pétrole a été la plus grande malédiction pour le monde arabe ».
Le quotidien d’oran