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Gare au faucon : Ce que nous réserve Joe Biden en matière de politique étrangère

Le monde sera-t-il un endroit plus sûr si Joe Biden remplace Donald Trump à la Maison-Blanche ? Rien n’est moins sûr. Le futur nouveau président des États-Unis a commencé sa carrière politique en protestant contre la guerre au Vietnam. Mais par la suite, le sénateur démocrate devenu vice-président d’Obama a pris fait et cause pour toutes sortes de guerres directes et indirectes. Portrait d’un produit pur jus de l’impérialisme US qui ne présage rien de bon pour la paix dans le monde. (IGA)

Des millions de personnes dans le monde ont poussé un soupir de soulagement avec l’annonce de la défaite de Donald Trump aux élections US de 2020 et celle de la victoire du billet Biden-Harris. Le discours de victoire de Joe Biden dégageait un sentiment d’optimisme, appelant à une nouvelle ère de bipartisme et de bonnes pratiques politiques. On peut toutefois douter que les bonnes pratiques prévalent en matière de politique étrangère.

Selon un portrait tiré par The Atlantic Magazine, Biden est fier de ses relations interpersonnelles étroites avec des dirigeants mondiaux, ce qui permettrait de faire progresser des objectifs communs en politique étrangère. Mais si le dirigeant est peu recommandable, ces relations interpersonnelles deviennent problématiques…

Recalibrer l’Empire

Lorsqu’il était vice-président de Barack Obama, Biden a cultivé une relation étroite avec le dirigeant irakien Nouri al-Maliki, surnommé le « Saddam chiite » pour ses politiques sectaires qui ont mené à l’émergence de l’État islamique d’Irak et du Levant (Daech).

Biden était également très proche du président ukrainien Petro Porosehnko, installé lors d’un coup d’État soutenu par les États-Unis en 2014 et qui a déclenché une guerre civile dans l’est de l’Ukraine faisant plus de 13 000 morts. [1]

Dans certains cercles, Biden était loué pour être une voix prudente de l’administration Obama sur les questions de guerre et de paix. En réalité, il a défendu les frappes de drones et les opérations des forces spéciales comme une alternative au déploiement massif de troupes au sol. C’est d’ailleurs la stratégie préférée de la CIA.

Après le bombardement de la Libye par les forces de l’Otan emmenées par les États-Unis, Biden s’est vanté de n’avoir « pas perdu une seule vie » et que la guerre « a servi de prescription sur la manière de gérer le monde à mesure que nous avançons« . [2] Cette déclaration est profondément troublante compte tenu du fait que des centaines de Libyens ont été tués dans des frappes aériennes US et que le pays a été laissé en ruines après que son chef, Mouammar Kadhafi a été renversé et lynché. Si telle est la prescription pour gérer le monde à mesure que nous avançons, nous avons tous du souci à nous faire.

De la colombe au faucon

Lorsqu’il a fait campagne pour la première fois au Sénat en 1972, le jeune Biden s’est positionné comme une colombe opposée à la guerre du Vietnam. Et en 1974, il a soutenu un projet de loi appelant à interdire toutes les opérations secrètes.

Mais en 1976, sentant dans quelle direction les vents politiques soufflaient, Biden a déclaré à un comité du Sénat qu’il ne se faisait « aucune illusion sur les intentions et les capacités soviétiques dans le monde« . Et il a rejoint le sénateur néoconservateur Daniel Patrick Moynihan (D-NY) sur le fait que « l’isolationnisme était une base dangereuse et naïve sur laquelle reposer notre politique étrangère ou la communauté du renseignement qui doit servir cette politique. »

Après que Jimmy Carter ait tenté de réduire d’un tiers le personnel de la CIA, Biden a soutenu une augmentation du financement du renseignement et du contre-espionnage. En 1980, il a voté pour la nomination de William Casey au poste de directeur du renseignement central (DCI), un anticommuniste convaincu qui a intensifié les livraisons secrètes d’armes aux moudjahidin afghans, aux Contras nicaraguayens et aux forces brutales de l’UNITA de Jonas Savimbi en Angola.

Au fur et à mesure que les années 1980 avançaient, Biden est devenu un fervent partisan de la guerre contre les drogues – il avait pourtant examiné les rapports de la DEA sur le trafic illicite de drogue qui pointaient la corruption des alliés de la CIA.

En 1999, le sénateur Biden a joué un rôle clé dans le lobbying pour défendre le Plan Colombie. Ce programme de 1,3 milliard de dollars a contribué à la guerre de l’armée colombienne contre les Fuerzas Armada Revolucionario de Colombia (FARC) de gauche, qualifiées de narcoguérillas.

Le sénateur Paul Wellstone (D-MN) avait fait la promotion d’une alternative au Plan Colombie qui aurait transféré 225 millions de dollars de l’aide militaire à des programmes de traitement de la toxicomanie au niveau national. Wellstone arguait que « nous avons emprunté cette voie depuis toujours et toujours » et que « plus de soldats et plus d’armes à feu n’ont pas vaincu et ne vaincront pas la source illégale des stupéfiants« . Biden s’est immédiatement porté au secours du Plan Colombie au Sénat, déclarant que le Congrès « provoquerait un tourbillon » s’il « ne ripostait pas contre les trafiquants de drogue« . [3] Une décennie plus tard, la Colombie restait le « leader mondial de la production de coca« . Et elle était autant ravagée par la violence de la guerre contre les drogues et contre les FARC que par la violence des narcotrafiquants. [4]

Biden ne s’est pas contenté de la croisade antidrogue durant les années 1990. Il a également embrassé la cause de l’expansion de l’OTAN en Europe de l’Est, qui a inutilement contrarié la Russie et a contribué à relancer la guerre froide.

Biden a également défendu le bombardement du Kosovo, dont le but était de saper le gouvernement socialiste du Serbe Slobodan Milosovic et d’y établir une base militaire US, Camp Bondsteel. En 2010, Biden a qualifié Hashim Thaci de « George Washington » du Kosovo. Ce même Thaçi a dû annuler son voyage à Washington en 2020, car il a été inculpé de crimes de guerre et notamment d’une centaine de meurtres.

La métamorphose de la colombe Biden en faucon a atteint son dénouement tragique avec le parrainage au Sénat de l’audition de dissidents anti-Saddam qui souhaitaient un changement de régime en Irak. Avec ces auditions, Biden a aidé à obtenir le soutien nécessaire pour l’invasion de l’Irak qui a fait plus d’un million de morts. Le jeune idéaliste qui avait défendu la vague de protestations dans les années 1960 était ainsi devenu un politicien sec, sans scrupule et qui avait vendu son âme pour le pouvoir.

Le vice-président d’Obama

Le manque de principes de Biden apparait de manière évidente dans son implication en Ukraine. En tant que vice-président d’Obama, il a activement consolidé le régime de Petro Porochenko. Cet oligarque corrompu a été installé lors du coup d’État de février 2014 (connu sous le nom de « coup d’État du Maïdan ») qui a renversé le président prorusse, Viktor Ianoukovitch.

Après le coup d’État, Biden a effectué plusieurs visites à Kiev. Il a aidé à forger une coalition entre Porochenko et Arseniy Yatsenyuk, un néolibéral soutenu par le Département d’État.

Pendant ce temps-là, le fils capricieux de Biden, Hunter, était installé au conseil d’administration d’une société d’énergie ukrainienne, Burisma, dont les dirigeants faisaient l’objet d’une enquête pour évasion fiscale. Joe Biden a aidé son fils en faisant renvoyer le procureur général qui enquêtait sur Burisma, Viktor Shokin. Pour arriver à ses fins, Biden avait menacé le gouvernement ukrainien de lui refuser un prêt d’un milliard de dollars du FMI.

L’administration Obama fournissait à l’époque du matériel militaire non létal à l’Ukraine engagée dans un conflit avec les provinces de l’Est. Le coût humain de ce conflit ne préoccupait pas celui qui devait devenir le 46e président des États-Unis. Pas plus le fait que le nouveau gouvernement ukrainien porté au pouvoir était soutenu par néonazis qui adulent Stephen Bandera, un collaborateur nazi de la Seconde Guerre mondiale [5].

Les rapports de la Maison-Blanche ont montré que c’est vers l’Irak que Biden a passé le plus d’appels durant sa vice-présidence. Le principal destinataire était Nouri al-Maliki, le poulain du Département d’État qui avait besoin d’un « homme chiite fort » pour défendre les intérêts US en Irak. Lorsque des manifestations de style printemps arabe ont éclaté contre al-Maliki, Biden et le secrétaire d’État John Kerry ont tranquillement travaillé pour aider à installer Haidar al-Abadi, qui s’était engagé à privatiser l’économie irakienne conformément aux objectifs initiaux de l’invasion militaire de 2003. [6]

Lors des primaires du Parti démocrate, Biden a vanté son rôle dans le développement de l’Alliance pour la prospérité en Amérique centrale, qui encourageait des projets d’infrastructures à grande échelle et des programmes de privatisations impliquant la vente de ressources nationales à des multinationales US. La pièce maîtresse de l’Alliance, ou « Plan Biden », était le Honduras. L’administration Obama y a soutenu un autre coup d’État qui a contribué à alimenter la crise migratoire vers les États-Unis [7]

Ces cas mettent tous en lumière le bilan honteux de la politique étrangère que Biden a compilé en tant que vice-président – un bilan qui fournit un bon baromètre de ce à quoi nous pouvons nous attendre pendant sa présidence.

Russophobie et crochets du droit contre Trump

Au cours de la campagne présidentielle de 2020, Biden s’est attaqué à la politique étrangère de Donald Trump. Des attaques qui avaient toutes les caractéristiques d’une politique de droite.

Au cours du deuxième débat par exemple, Biden a reproché à Trump d’avoir rencontré le dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un. Quand Trump a dit : « Nous avons un type de relation différent. Nous avons une très bonne relation [avec Kim], et il n’y a pas de guerre« , Biden a rétorqué : « Nous avions une bonne relation avec Hitler avant qu’il n’envahisse le reste de l’Europe. »

Au cours du même débat, Biden a demandé à Trump pourquoi il n’avait pas affronté la Russie lorsqu’il a vendu des armes antichars Javelin à l’Ukraine et a soutenu un renforcement militaire aux portes russes tout en se retirant des traités de contrôle sur les armements.

La russophobie de Biden apparait très clairement dans un article qu’il a publié en janvier-février 2018 dans le magazine Foreign Affairs. Biden y affirme que la Russie a refusé de coopérer avec l’Occident pour mettre fin à la guerre froide. Il accuse la Russie d’être désormais en train d’ « attaquer effrontément les fondements de la démocratie occidentale dans le monde », notamment en envahissant les pays voisins tels que la Géorgie et l’Ukraine.

Ce sont pourtant les États-Unis qui n’ont pas respecté la promesse formulée à l’époque par l’administration de George HW Bush de ne pas étendre l’Otan à l’Europe de l’Est. Par ailleurs, une enquête de l’Union européenne a pointé la responsabilité du dirigeant géorgien, Mikheil Saakashvili, dans l’origine du conflit entre la Géorgie et la Russie en 2008. Il avait tenté de s’emparer de l’Ossétie du Sud. Les États-Unis ont en outre soutenu le coup d’État en Ukraine qui a déclenché une guerre civile dans laquelle la Russie a dû s’impliquer.

À quoi pouvons-nous nous attendre

Biden est susceptible de restaurer le soutien aux accords de Paris sur le climat, à l’accord sur le nucléaire iranien et à l’ouverture d’Obama vers Cuba. Mais les marchands d’armes ne s’inquiètent pas de possibles coupes dans les dépenses militaires avec Biden.

Le nouveau président élu a déclaré qu’il ne pouvait pas promettre un retrait complet des troupes d’Afghanistan, d’Irak et de Syrie. Il a aussi évoqué la nécessité de renforcer la cyberguerre et l’arsenal de drones.

C’est presque une certitude, Biden intensifiera aussi (1) la nouvelle guerre froide avec la Russie, (2) soutiendra le commandement militaire africain, AFRICOM, que Trump menaçait de réduire, et (3) misera à nouveau en matière de guerre sur la « Light Footprint strategy » qu’il avait favorisée en tant que vice-président. [Stratégie de l’empreinte légère qui mise sur les cyberattaques, les drones et les forces spéciales plutôt que l’envoi de troupes, NDLR]

Dans un entretien avec le Council on Foreign Relations (CFR), Biden a appelé à des sanctions plus sévères contre le Venezuela. Il a rappelé qu’il était parmi les premiers à reconnaître le renégat de droite, Juan Guaido, comme leader légitime du Venezuela tout en poussant à la destitution du président socialiste Nicolas Maduro, qu’il a qualifié de tyran.

Le CFR a également souligné l’hostilité de Biden envers la Chine et son désir de « renforcer la position des États-Unis comme puissance du Pacifique en augmentant la présence navale US en Asie-Pacifique et en renforçant les liens avec des pays comme l’Australie, l’Indonésie, le Japon et la Corée du Sud pour bien faire comprendre à Pékin que Washington ne reculera pas. »

Les principaux bénéficiaires de cette politique seront les fabricants d’armes qui, selon The Nation Magazine, ont donné 2,4 millions de dollars à Biden lors de la campagne électorale de 2020, contre 1,6 million de dollars pour Trump.

L’un des principaux donateurs de la campagne de Biden est Palmora Partners. Ce fonds spéculatif de plusieurs milliards de dollars détient plus de 260.000 actions chez Raytheon, un fabricant et fournisseur d’armes de premier plan pour l’Arabie saoudite.

Un autre des principaux donateurs de Biden, Jim Simons, a donné plus de 7 millions de dollars. Il a fondé Renaissance Capital, qui détient 1,2 million d’actions de Raytheon d’une valeur de plus de 75 millions de dollars et 130.000 actions de Lockheed Martin d’une valeur de 50 millions de dollars.

Joe Biden véhicule une image plus décente que Donald Trump et devrait ramener une certaine rationalité au sein de la Maison-Blanche. Mais sur les questions de politique étrangère, les priorités de Biden sont très claires et devraient nous inquiéter.

Source originale : Covert Action Magazine

Traduit de l’anglais par Investig’Action



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