Amis des arts et de la culture de Palestine

Empêchons l’assassinat de la culture palestinienne

« À travers les activités artistiques et les institutions culturelles, l’existence même du peuple est visée. » Après le saccage du célèbre « Théâtre de la Liberté » le 13 décembre dernier par l’armée israélienne, un ensemble d’artistes et de personnalités dénonce cette stratégie d’effacement. « Massacrer l’enfance et la jeunesse, détruire les installations éducatives, abattre les porteurs de sa culture, c’est assassiner un peuple. »

Le « Théâtre de la Liberté » avait joué sans interruption et enseigné l’art dramatique dans les territoires occupés, en surmontant tous les obstacles et rayonnant partout dans le monde depuis sa fondation en 2006 au milieu du camp de réfugiés de Jénine par l’artiste israélo-palestinien Juliano Mer Khamis, assassiné en 2011.

Le 13 décembre dernier ses locaux ont été saccagés par l’armée, ses animateurs battus et incarcérés. À ce jour, le directeur général du théâtre Mustafa Sheta et son président Bilal Al-Saadi, sont toujours détenus sans motif.

Plus qu’un symbole, c’est une stratégie. À travers les activités artistiques et les institutions culturelles, l’existence même du peuple est visée.

Qu’est-ce qui fait qu’un peuple est un peuple ? demandait Jean-Jacques Rousseau dans un passage fameux du Contrat Social (1762). Cette question nous hante alors que nous assistons, horrifiés, à la destruction du peuple de Palestine écrasé sous les tonnes de bombes à Gaza, tiré à vue, battu, emprisonné en Cisjordanie par des colons et des soldats racistes à qui on a donné carte blanche, humilié et discriminé en Israël par des lois de ségrégation ethnico-religieuse...

Que fait donc le monde ?

À part l’Afrique du Sud qui vient de sauver l’honneur à La Haye et le Secrétaire Général des Nations-Unies qui crie dans le désert, les associations qui dénoncent la catastrophe humanitaire et tentent de faire passer un peu d’eau, de vivres et de médicaments, le monde attend, il justifie, il regarde ou il prête main forte, exerçant son veto par ci, livrant des munitions par là.

L’histoire jugera.

Un peuple, outre son nom, ce sont des hommes et des femmes de chair et d’os, des familles avec leurs vergers et leurs maisons, des enfants qui jouent et qui étudient, des ouvriers, des paysans, des travailleurs sociaux et des intellectuels, des soignants et des artistes. Mais c’est aussi une culture active, enrichie d’expériences heureuses ou malheureuses, transmise de génération en génération, qui fait l’idée qu’il a de lui-même et son unité sous l’oppression.

Et ce sont toutes les institutions qui font vivre cette culture : écoles, universités, théâtres, journaux, associations, lieux de culte ou de sociabilité. C’est tout cela qu’Israël, lancé par ses dirigeants dans une guerre d’extermination et de vengeance qui n’observe aucune limite et ne respecte plus aucune loi, a entrepris de détruire.

Au-delà de la « seconde Naqba » déjà programmée par de hauts responsables civils et militaires, il faut que, cette fois et pour de bon, le peuple palestinien soit décimé, décomposé, exclu de sa propre terre, de sa propre histoire. Que ses capacités de résistance soient anéanties.

Il n’est pas sûr que, malgré sa violence et son surarmement, le colonialisme israélien ainsi déchaîné parvienne à ses fins, tant les Palestiniens ont historiquement fait la preuve de leur solidarité et de leur volonté de survivre en tant, précisément, que peuple.

Mais les ravages causés par cette guerre d’extermination du fort contre le faible, déjà effroyables, deviendront irréparables si rien n’est fait pour les arrêter. Il faudra des décennies pour les compenser, ne serait-ce qu’en partie. Et le traumatisme qu’ils sont en train de causer ne s’effacera plus jamais. Il portera de nouvelles violences.

Car Israël a parfaitement compris, et de longue date, que son projet d’expropriation exigeait non seulement de tuer et de réprimer, mais de démanteler et d’effacer du paysage toutes les institutions qui confèrent au peuple palestinien sa propre identité et permettent de la préserver.

Il y a une cohérence sinistre entre le fait que, comme à Gaza, les enfants soient massacrés par milliers, ou, comme en Cisjordanie, les adolescents ciblés par les tueurs et emprisonnés au moindre geste (voire sans aucun geste), et le fait que la dernière université de la bande côtière, dite islamique et reconnue pour la qualité de ses enseignants et de ses chercheurs, soit rasée au sol. Ou que les tirs de missiles guidés par Intelligence Artificielle aient déjà éliminé par prédilection des dizaines de journalistes et d’écrivain.es (comme le poète Nour el-Din Haggag, dont on aura pu lire la déchirante Lettre d’adieu au monde). Ou que sous des prétextes juridiques fabriqués en vue de l’extension des colonies, les écoles de Palestine occupée soient détruites au bulldozer à peine sorties de terre, comme hier à Musafer Yatta (Hébron) et à Jib Al-Theeb (Bethleem) malencontreusement située en « zone de tir ». Et ainsi de suite.

Massacrer l’enfance et la jeunesse, détruire les installations éducatives, abattre les artisans de sa culture, c’est assassiner un peuple. C’est le crime contre l’humanité par excellence, que nous, les « civilisés », nous étions engagés solennellement à prévenir et à réprimer.

C’est à quoi nous assistons depuis des décennies en Palestine, et qui sous nos yeux, vient de s’accélérer dramatiquement.

Les Palestiniens appellent à l’aide, avec fierté, avec désespoir, avec colère.

Nous sommes comptables devant eux et devant le monde de nos actions et de notre inaction. Nos dirigeants, qui ne voient jamais qu’un seul côté des violences commises, et ne cessent d’osciller honteusement entre le soutien aux assassins et des remontrances humanitaires purement symboliques, doivent impérativement revenir aux exigences du droit international.

Ils doivent agir et s’exprimer pour que, au moins, le crime soit nommé et condamné. Eux aussi seront comptables.

Signataires

Les Amis du Théâtre de la Liberté de Jénine (ATL Jénine) avec : Étienne Balibar, Sonia Fayman, Julio Laks, Sophie Mayoux, Danièle Touati, Aline Bacchet,
Les Amis des Arts et de la Culture de Palestine avec ; Sylvie Deplus Ponsin, Claude Labadi, Charles Beillard

ainsi que :

Ahmed Abbes, mathématicien / Tony Abdo Hanna, auteur / Anne Alvaro, comédienne / Anne de Amezaga, productrice théâtre / Raed Andoni, cinéaste / Anne-Claude, comédienne / Arnaud Arini, artiste plasticien / Cynthia Arra, collaboratrice à la direction d’acteurs / Sébastien Arrighi, photographe / Kader Attia, artiste plasticien / Jean-Luc Bansard, comédien, metteur en scène / Gaël Baron, acteur / Marcos Barrientos, musicien / Julián Bastias, écrivain / Anne Baudoux, comédienne / Philippe Bazin, artiste / Nicolas Becker, musicien et sound designer / Yaghouta Belgacem, directrice artistique / Jamila Bensaci, comédienne et metteuse en scène / Annie Benveniste, sociologue / Stéphane Bérard, artiste / Aurélie Bertaud, atelier Jeanne Barret / Juliette Bialek, comédienne / François Billaud, artiste plasticien / Simone Bitton, cinéaste / Yaël Bitton, cinéaste / Frode Bjørnstad, comédien / François Bloch, metteur en scène / Catherine Blondeau, autrice et directrice de théâtre / Elsa Bouchain, comédienne / Nicolas Bouchaud, comédien / Seloua Luste Boulbina, philosophe et politiste / Mathieu Bouvier, chercheur en art / Benoît Bradel, directeur de festival et metteur en scène / Thomas Brémond, directeur de la photographie / Mityl Brimeur, maquilleuse perruquière / Michel Broué, mathématicien / Armand Bultheel, musicien / Stephen Butel, comédien / Olivier Cadiot, écrivain / Louise Calzada, musicienne / Anne Cantineau, comédienne / Marie Cariès, comédienne / Carolyn Carlson, chorégraphe / Alain Castan, éditeur / Laurent Cauwet, éditeur et auteur / Laurence Chable, comédienne / Fanny de Chaillé, chorégraphe et directrice du TnBA / Rebecca Chaillon, metteuse en scène, comédienne / Yves Chaudouët, artiste / Sarah Chaumette, comédienne / Séverine Chavrier, metteuse en scène / Ciné-Palestine Toulouse Occitanie / James Cohen, politologue / Patrick Condé, comédien / Yann Coquart, auteur-réalisateur / Catherine Coquio, universitaire / Francesca Corona, directrice artistique / Sylvain Creuzevault, metteur en scène / Annie Cyngiser, sociologue / Soriba Dabo, comédien / Jonathan Daitch, auteur, photographe / Marianne Dautrey,
traductrice, critique, éditrice, cinéaste / Sonia Dayan-Herzbrun, sociologue / Béatrice Dedieu, dramaturge et productrice radiophonique / Arlette Desmots, metteuse en scène / Virginie Despentes, autrice / Lena Dia, comédienne / Farah-Clémentine Dramani Issifou, curatrice / Joss Dray, auteure, photographe / Valérie Dréville, comédienne / Karine Durance, attachée de presse cinéma / Ivar Ekeland, mathématicien, économiste / Mohammed El Khatib, auteur et metteur en scène / Annie Ernaux, autrice / Fantazio (Fabrice Denys), performeur / Alain Frappier, auteur dessinateur / Désirée Frappier, scénariste / Ali Gacem, administrateur de production / Marine Gacem, scénariste / Florian Gaieté, philosophe et critique d’art / Nathalie Garraud, metteuse en scène / Céline Ghisleri, directrice Voyons voir / Brigitte Giraud, écrivaine / Julien Gosselin, metteur en scène / Anne-Claude Goustaud, comédienne / Dominique Grange, chanteuse engagée / Anouk Grinberg, comédienne et plasticienne / Marius Grygielewicz, artiste plasticien / Thomas Gubitsch, musicien / Lise Guehenneux, journaliste / Nacira Guénif, sociologue, anthropologue / Stéphane Guglielmet, artiste plasticien / Francesca Guidieri, peintre, restauratrice / Lucie Guien, comédienne / Alain Guiraudie, cinéaste / Didier Haboyan, musicien / Adèle Haenel, actrice / Hervé Hamon, écrivain / Arthur Harari, réalisateur / Ada Harb, comédienne / Berry Hayward, musicien / Valérie Horwitz, artiste plasticienne / Daniel Jeanneteau, scénographe, metteur en scène / Hervé Joubert-Laurencin, cinéaste / Valérie Jouve, photographe / Karim Kattan, écrivain / Miloud Khétib, comédien / Nicolas Klotz, cinéaste / Nathalie Kousnetzoff, comédienne / Julia Kowalski, cinéaste / Julie Kretzschmar, metteuse en scène, direction
de structure culturelle / André Laks, helléniste / Guy Lavigerie, metteur en scène / Lazare, auteur-metteur en scène / Rémi Lecussan, artiste plasticien / Arham Lee, artiste autrice / Camille Lemonnier, scénographe / Blandine Lenoir, réalisatrice / Serge Lesquer, artiste plasticien / Jean-Marc Lévy-Leblond, physicien / Guillaume L’Hostis, musicien / Hervé Loichemol, metteur en scène / Frédéric Lordon, philosophe, économiste / Michael Löwy, sociologue / Bernard Lubat, musicien / Rodolphe Macabeo, musicien et sound designer / Dalila Mahjoub, artiste plasticienne / Julia Mancini, artiste / Damien Manuel, dessinateur / Joëlle Marelli, traductrice, poète, chercheuse indépendante / Maguy Marin, chorégraphe / Diane Maroger, productrice / Rosalía Martinez, musicologue / Valérie Massadian, cinéaste / Audrey Maurion,
monteuse et documentariste / Muriel Modr, artiste plasticienne / Marie-José Mondzain, philosophe / Pierre Monestier, peintre / Mathilde Monnier, chorégraphe / Magali Montoya, comédienne et metteuse en scène / Florence Morali, enseignante d’art / Gérard Mordillat, auteur, cinéaste / Edgar Morin, sociologue, philosophe / Pascal Navarro, artiste plasticien / Daniel Navia, musicien / Olivier Neveux, professeur d’études théâtrales / Frédéric Noaille, comédien / Stanislas Nordey, acteur, metteur en scène / Marcelo Novais Teles, cinéaste / Paul-Emmanuel Odin, artiste / Annie Ohayon, productrice / Valérie Osouf, artiste visuelle et documentariste / Alexis Pelletier, poète / Macarena Peña, musicienne / Patrick Penot, directeur de Sens interdits / Élisabeth Perceval, cinéaste / Nils Peschanski, musicien / Katia Petrowick, danseuse, comédienne / Dominique Pifarély, violoniste / Ernest Pignon-Ernest, plasticien / Jean-Marc Poli, musicien / Joël Pommerat, auteur, metteur en scène / Nathalie Quintane, poète / Jacques Rancière, philosophe / Robin Renucci, acteur et metteur en scène / Ludovic Rivalan, vidéaste responsable du service vidéo du Théâtre National de Strasbourg / Jane Roger, distributrice de films / David Rosier, producteur / Philippe Rousselot, chef opérateur / Tamara Saade, comédienne et autrice / Olivier Saccomano, auteur / Elias
Sanbar, ancien ambassadeur de la Palestine / Blandine Savetier, metteuse en scène / Leïla Shahid, ancienne déléguée générale de la Palestine / Marie-José Sirach, journaliste / Eyal Sivan, cinéaste / Makis Solomos, musicologue / Rosemary Standley, chanteuse / Frédéric Stochl, musicien / Nicolas Struve, comédien / Tardi, dessinateur / Joëlle Tawil, peintre / Nadia Tazi, philosophe / Jean-Pierre Thorn, réalisateur / Véronique Timsit, dramaturge / Christine Tournadre, réalisatrice / Florence Tran, cinéaste / Nanténé Traoré, artiste visuel et auteur / Colette Tron, directrice Alphabetville / Anne-Sophie Tschiegg, peintre / Isabelle Ungaro, réalisatrice / UTO, artiste musical (Neysa Barnett, Émile Larroche, Thomas Pihan) / Eleni Varikas, politologue / Marie Vayssière, comédienne et metteuse en scène / Françoise Vergès, autrice / Camille Videcocq, curatrice Rond-Point Project / Gisèle Vienne, chorégraphe / Vanina Vignal, cinéaste / Christiane Vollaire, philosophe / Éléonore Weber, cinéaste / Zoé Wittock, cinéaste / Sergio Zamora, écrivain / Josiane Zardoya, monteuse / Stéphane Zaubitzer, photographe

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